KINDNESS ET INNOVATION : UNE RELATION ÉVIDENTE ET POURTANT INATTENDUE

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KINDNESS ET INNOVATION : UNE RELATION EVIDENTE ET POURTANT INATTENDUE

« Curieux à temps indéterminé et porteur de gentillesse » c’est ainsi qu’Alessio Cuccu se décrit reprenant les mots d’un de ses amis dans lesquels il se retrouve pleinement. Ingénieur matériaux de formation et passionné par le design thinking, Alessio vit à Londres depuis environ trois ans et s’implique dans l’innovation et la recherche depuis 20 ans. L’équipe de KINDNESSforBusiness l’a rencontré, intriguée par la combinaison Kindness et Innovation qui à la base de sa proposition et de son site internet « Kindnovate – nudge the change ».

Comment la gentillesse contribue-t-elle à l’innovation ? Une question que nous nous sommes posée, et que les réflexions d’Alessio Cuccu nous incite à approfondir. « Chaque innovation apporte un changement à affronter ; chaque changement petit ou grand génère des ruptures qui nécessitent des efforts et de l’engagement pour être surmontées et résolues. J’utilise la gentillesse pour faciliter des projets innovants, d’où « nudge the change », comme un coup de pouce gentil en faveur du changement.

Avec Alessio, nous innovons ainsi un cycle d’interviews et de rencontres d’approfondissement sur des problématiques, des valeurs et des pratiques liées au thème de la KINDNESS dans les organisations au sens large.

Alessio bonjour ! Pouvez-vous nous parler de votre parcours ? Pouvez-vous nous dire ce que vous faites ?
Mon parcours est un peu long ! Je suis né comme ingénieur matériaux en 2001. Pour ma thèse, j’avais déjà choisi un thème sur les matériaux innovants qui est à l’origine de mon activité de conseil qui a abouti à la création de Matec, une start-up d’ingénierie de matériaux innovants, un monde totalement inconnu à l’époque. Après 8 ans, j’ai rejoint Lago Design, une société de Padoue en Italie qui produit des meubles de design, d’abord en Recherche & Développement, puis aux côtés du Chief Design au sein du comité stratégique. Là, nous avons réalisé de belles choses : nous avons apporté l’ambiance de la maison dans les bureaux, les hôtels, les restaurants. Nous avons recréé « la maison à l’extérieur de la maison ».
Ensuite, après des années de va-et-vient entre la Vénétie et Londres, j’ai décidé de rejoindre mon épouse qui y avait trouvé un très bon travail. J’ai donc fait le choix de la suivre. Disons que ça été un acte de gentillesse ! Et puis, c’était Londres… il y a pire ! (rires)
Aujourd’hui, je fais du conseil au sens large. Je suis consultant en innovation, mais au fil des ans, j’ai découvert l’importance de certains ingrédients essentiels en la matière : le développement durable, les ressources humaines et le management. Les entreprises me sollicitent en effet aussi dans le domaine RH. Je recours à mes recherches sur les outils d’innovation et mes expériences pour faciliter la création d’un état d’esprit fertile à l’innovation. En bref, je dédie mes interventions à la définition des paramètres utiles pour le bien de l’entreprise.

Comment en êtes-vous arrivé à défendre la Kindness dans l’environnement professionnel ?
Quand j’ai déménagé à Londres en 2018, j’ai pris une année sabbatique au cours de laquelle j’ai relié de nombreux points qui faisaient partie de ma vie. J’ai compris que la Kindness faisait partie de moi et je me suis concentré sur mon angle de vue spécifique : Kindness et innovation. C’est ainsi qu’est né Kindnovate.
J’ai commencé à étudier et à approfondir le sujet partant de l’idée que l’innovation est un changement qui demande des efforts. Je l’ai appris à Matec où nous étions peu nombreux et où nous devions créer quelque chose de nouveau. Pour cela, il faut de l’énergie, de l’engagement et de la patience, mais aussi se fixer des objectifs, prendre le temps de réfléchir et de partager ses réflexions. Il faut surtout accepter l’ambiguïté de la nouveauté avec une grande tolérance, pour obtenir des résultats. En matière d’innovation, sans KINDNESS, il est courant qu’une personne dise quoi faire et les autres doivent simplement suivre. Ça ne marche pas. Certes, vous obtiendrez des résultats mais pas une innovation conséquente. En plus, l’innovation n’est pas une activité continue; elle dépend des situations.

Voilà un point à approfondir ! La méthode de gestion de la production dite « Lean » nous amènerait donc à penser que l’innovation est continue et incrémentale. Qu’en pensez-vous ? Qu’en pensez-vous ? Comment la gentillesse peut-elle jouer un rôle?
Chez Toyota, en procédant par petites étapes progressives dans la fabrication de manière humble et gentille, l’ouvrier est écouté et à parité. C’est un monde gentil comme le définit Robin M. Hogarth dans son article « The two settings of kind and wicked learning environments » dans lequel il définit des environnements d’apprentissage « gentils » et d’autres au contraire « méchants » où l’information et l’apprentissage ne circulent pas car ils ne sont pas alignés sur les objectifs alors que dans le premier vous savez quoi faire.  La crise survient quand il n’y a plus de règles, quand pour innover il faut changer les façons de faire, quand il faut utiliser l’humilité pour se débarrasser des super savoirs, être capable de penser, et penser que l’on ne sait rien même si on est un véritable expert. Pour les orientaux, le vide créé l’espace. Mais tout le monde ne veut pas faire face à l’ambiguïté. La gentillesse nous pousse vers l’inconnu.

Cette polarité entre les environnements « gentils » et « méchants » est très intéressante. Y-a-t-il d’autres lectures ou expériences dont vous vous êtes inspiré ?
Le livre Range. Why generalists triumph in a specialized world de D. Epstein est sans aucun doute lié au sujet précédent sur les personnes généralistes. Le généraliste n’est pas polyvalent. Pour créer des connexions pertinentes, il ne faut pas être bloqué sur une spécialisation. C’est un état d’esprit. L’expert doit être un facilitateur, rechercher un langage commun et développer les connaissances du groupe. Le monde des grands experts qui se font parfois même concurrence n’est pas un monde kind. Le généraliste a plus sa place dans la société d’aujourd’hui parce que la nature nuisible des problèmes du monde moderne nécessite une expérience et une connaissance des éléments de connexion de différents domaines pour trouver des solutions innovantes. C’est un thème qui m’a beaucoup frappé. Parmi mes outils j’utilise une matrice qui rassemble des environnements gentils ou méchants d’un côté et des généralistes ou des experts de l’autre. Cela m’aide à comprendre le point de départ de l’organisation pour aborder l’innovation (cf. schéma).
Une autre source d’inspiration, toujours japonaise, est un peu opposée à Toyota, est celle d’Honda qui organise des moments de créativité au cours desquels un senior s’enferme dans une salle avec des jeunes pour résoudre un problème, voire générer des idées. L’excellent livre « Driving Honda » les mentionne. Il s’agit des Waigaya, à cause du bruit généré par le nombre de personnes qui se parlent de façon animée dans un flux générateur d’idées. La hiérarchie se trouve à l’extérieur.

Dupont, une société hiérarchisée y avait également recours : la phase de création incluait ces « bulles créatives » dont vous parlez et dans lesquelles la hiérarchie était laissée de côté, au point que Gore, en créant Gore-tex, a décidé que ce soit une caractéristique de l’entreprise.
Oui, c’est vrai. Je peux aussi nommer Sathya Nadella, PDG de Microsoft. Il utilise la gentillesse pour changer la société de l’intérieur, après Steeve Balmer qui jouait sur le plan de de la compétition et de l’affrontement. Dès son arrivée, Nadella a offert les livres de Marshall Rosenberg sur la Communication Non Violente aux premiers échelons, avant de se lancer dans la mise en place du Microsoft du futur. Notons que Nadella est un oriental d’origine indienne. Cette approche différente qui vient de l’Orient revient, mais les idées d’innovation viennent aussi d’Afrique, d’Amérique du Sud. Tous ces éléments sont en quelque sorte des environnements Kind. Les innovateurs recherchent également des expériences inspirantes.

La KINDNESS est donc le « fil rouge » de votre conception de l’innovation dans le sens où elle favorise l’inclusion, pour une plus grande richesse et une portée transformatrice de l’innovation. Mais existe-t-il une limite à votre en entreprise ?
Je crois que dans un contexte commercial, il est important de distinguer les choses. Le cas Netflix est illustrant. D’un côté il y a les ressources opérationnelles, de l’autre les ressources créatives. Dans le contexte opérationnel, les choses doivent être faites d’une certaine manière. Il n’y a pas besoin d’une grande tolérance à l’ambiguïté. L’entreprise qui utilise la spécialisation en la matière est Kind car elle ne met pas les collaborateurs en difficulté avec de nouveaux problèmes. Il est essentiel de comprendre l’environnement et les personnes pour éviter qu’elles ne souffrent. Chez Netflix, on sait que tout le monde n’est pas prêt à être proactif. C’est donc correct de demander. Il est parfois difficile de mettre tout le monde sur le même bateau et ça peut en devenir même contre-productif. Il arrive qu’on me demande ce qu’est être un leader gentil, mais c’est difficile de gérer la gentillesse dans l’entreprise car elle peut avoir des connotations négatives notamment quand elle évoque l’ennui ou la faiblesse. Ainsi, la diffusion de la KINDNESS dans l’entreprise devrait conduire à un changement de paradigme de « Mors tua vita mea » à «Vita mea vita tua», la version latine courtoise de Win-win.

Vous êtes Italien et vous vivez à Londres. L’interculturalité est un autre aspect de votre travail que nous souhaitons souligner puisque KindnessForBusiness est marqué par sa réalité interculturelle. Avez-vous perçu différentes significations de la KINDNESS entre l’Italie et Londres ?
La Covid met à l’épreuve les personnes dans un monde ambigu et discontinu. Cette année, de nombreuses initiatives – entreprises et associations- liées à la Kindness ont vu le jour. Ce n’est pas un hasard. Les gens comprennent que la gentillesse est nécessaire pour faire sérieusement face à une situation complexe. Je perçois des différences culturelles mais il est encore tôt pour m’exprimer. Je dirais…«Work in progress» mais une chose est certaine : en entreprise on peut choisir ; la Covid ne permet pas de choisir.

Pour conclure, nous vous proposons de choisir deux cartes dans le jeu d’une cinquantaine de cartes que nous avons créé pour représenter le Kindness Universe d’une organisation. Nous vous proposons de choisir celle qui vous parle le plus et celle qui vous surprend.
De toutes les cartes que vous me proposées, je suis intrigué par la carte “Abondance”. Je la trouve intéressante même si en matière d’innovation il est parfois plus efficace d’avoir un cadre pour développer la créativité.
Mais en y réfléchissant, celle dans laquelle je me retrouve le plus est la carte “Authenticité” car je l’associe aussi au fait d’être gentil avec soi-même, ne pas porter de masque. Je la relie au bonheur et au sentiment d’utilité, tous les aspects de la Kindness en somme.

L’AUTEUR

Alessio CUCCU est : Chief Kindness Officer | Full time curious | natural carrier of kindness | inspired by inspiring #KINDINNOVATION.

KINDNESSforBusiness
KINDNESSforBusiness intends to promote and to disseminate knowledge in order to help change makers and leaders to try new practices, new tools but most of all a new mindset to craft surroundings and organizations more human-centered but also more planet-centered and improve their business and impact.
http://www.kindnessforbusiness.org

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